Les instants suspendus, Philippe Delerm

Date de parution : 18/08/2023 – Prix : 14.90€
Editeur : Seuil

« Ce n’est pas un éblouissement, pas une surprise. On est tout à coup dans cette lumière-là, comme si on l’avait toujours habitée. On vient de sortir du tunnel. Le train n’a pas changé de cadence, il y a juste eu un petit crescendo dans la musique, moins un bruit de moteur qu’une tonalité nouvelle, offerte au vent. Une infime parenthèse entre deux talus, et d’un seul coup : le paysage. Montagne, lac ou forêt, château en ruine ou autoroute, on sait tout absorber, tout devenir. »

Comme on les chérit, ces instants suspendus dans nos vies.
Passer le doigt sur une vitre embuée. La mouche de l’été dans la chaleur de la chambre. Le jaillissement du paysage à la sortie du tunnel ferroviaire…

Philippe Delerm n’invente pas ces moments, il les réveille en nous. Il leur donne une dimension d’horizon infini. On ne savait pas qu’on abritait tous ces trésors, Delerm les met en écrin. Entre humour subtil et nostalgie, un recueil dans la droite ligne de ses grands succès, La Première Gorgée de bièreLa Sieste assassinée ou Les Eaux troubles du mojito.

RESSENTI

J’aime retrouver les mots de Philippe Delerm qui sont comme des petites parenthèses enchantées dans la noirceur du monde. C’est un poète, un magicien des mots et des choses du quotidien. Il est étonnant comme il arrive à faire du beau avec des banalités de la vie. Il nous invite à voir la beauté dans tout et faire de chaque moment quelques choses d’exceptionnel. On se surprend à sourire béatement devant une pomme, à regarder un oiseau voler, à se promener en regardant tout ce qui nous entoure et prendre conscience de la beauté du monde. Il nous réconcilie avec la vie.

Par des chapitres très courts, deux pages en moyenne il nous parle de sujets du quotidien , la rose trémière, le rouge gorge, Stan Smith, le verre de coca sur un plateau de fast-food, oursin, pot-au feu et autres réjouissances dont il nous régale avec sa verve et son acuité habituelle.

Toutes ces petites saynètes se suivent pour former un patchwork de petites tranches de vie qui font du bien.

A lire pour juste s’autoriser la contemplation et l’évasion nécessaire pour affronter la rentrée

EXTRAITS/MORCEAUX CHOISIS

« C’est drôle, on s’en souvient encore, en fermant simplement les yeux. Une infime fraction de seconde, c’était mystérieusement doux: puis le premier jambage de la première lettre à peine formé, le premier cercle de visage maladroitement esquissé, un peu d’irrémédiable s’amorçait: une goutte d’eau dévalait la paroi vitrée. En fait, même pour les enfants, écrire ou dessiner était un alibi. Ce qui comptait, c’était le plaisir de toucher, surtout quand il fallait enlever un gant pour ça. Une minuscule transgression, un pouvoir aussi de transformer les choses, ou seulement de s’approcher de ce pouvoir. »

« C’est la rentrée

Et quand on n’est ni enfant ni parent, ça fait quand même quelque chose, la rentrée. Quand on la croise sur le trottoir, on la partage en douce, par effraction. Cette part de soi que l’on ne pensait pas avoir autant gardée, on en a besoin. Cette démarcation qui donne une tonalité nouvelle dans les journaux, les magazines, à la radio, on en parle. Rentrée politique, rentrée musicale, rentrée littéraire, toutes font référence à la seule qui soit la vraie : la rentrée des classes. Déjà surgit cette idée d’accepter l’automne, et de le précéder. Et puis une fraîcheur redonnée à tout ce qui nous fait, nous entoure ou nous intéresse. Au travail aussi ce sera la rentrée, des rites retrouvés, un petit goût de récré à la première pause, à la première cigarette sur le trottoir ou au premier café. »

« [Le doigt sur la vitre]
Il y a une magie dans l’évanescence de ce support infinitésimal qu’un souffle efface. C’est comme la vie même: on rêve d’y laisser sa trace, quelques secondes, et juste pour l’idée. Mais, on sait bien. Une mouillure froide, délicieuse, et l’on remet son gant de laine. Déjà une goutte a coulé. »

Une réflexion au sujet de « Les instants suspendus, Philippe Delerm »

  1. Une invitation à la lenteur, à l’observation. Un retour sur sensations trop vite oubliées… c’est tout cela que ces saynètes nous font redécouvrir. Merci de me rappeler cet auteur !

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