L’enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme

Date de parution : 31/08/2023
Editeur : Minuit
Prix : 20€
Nombre de pages : 224

Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s’embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s’aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s’aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d’un désir éphémère, l’éclair d’un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.

RESSENTI

Ce livre m’a bouleversée et embarquée dans une mélancolie que j’ai eu du mal à quitter pendant quelques jours. C’était pourtant pas gagné car je dois bien avouer que j’ai eu du mal au début, j’arrivais pas à rentrer dedans complétement sans trop savoir pourquoi. Peut-être trop de personnages d’un coup, une certaine lenteur dans le déroulement des évènements. Mais progressivement, cette sensation s’est évaporée au profit d’un grand plaisir de lecture et d’une envie de retrouver les personnages après chaque journée. Un bien beau roman sur la quête des origines.

Dans une ferme aux bords du lac de Constance en fin de guerre, l’auteur nous conte l’histoire d’amour entre une fermière allemande et le soldat français qu’elle héberge et tout ce qui en découla par la suite. Simon, le narrateur de cette histoire sait qu’il y a un secret familial sans vraiment savoir si c’est son imagination ou pas et suite à sa séparation difficile d’avec sa femme ce sentiment le reprend. Au détour d’une conversation avec un vieil oncle pendant l’enterrement de son grand-père, il apprend l’existence d’un fils caché, il est sous le choc, il encaisse la nouvelle et s’ensuit alors une quête afin d’avoir des réponses, de retrouver ce fils cachés. Du côté de sa famille, tout le monde garde le silence et ceux à qui il confie son projet d’aller à Constance là où tout a commencé, ont toute la même attitude silence et tentative de dissuasion. Il veut rompre 60 ans de secrets, de non-dits et là le lecteur pense au mystère de sa propre famille.

C’est un beau roman, touchant, sincère et introspectif. De plus, ce qui ne gâche rien, il est admirablement bien écrit, les personnages sont soignés et sont tous touchants à leur façon. Le final m’a tiré des larmes que je n’ai pu retenir. Cette aventure bucolique et mélancolique est belle et invite à la promenade, j’ai eu très envie soudain de partir et marcher dans la campagne, envie de m’imprégner de nature.

Je vous recommande ce roman qui fait partie de mes préférés pour cette rentrée.


EXTRAITS, MORCEAUX CHOISIS

« Et le gamin là-bas au bord du lac allemand qui un jour en avait eu assez de rêver à ce père inconnu, assez de se l’imaginer, de le fantasmer – et apprenant qu’il venait de rentrer de ce côté-ci de la mer il avait décidé d’aller sur-le-champ lui rendre visite, cela par le moyen qui lui avait semblé le plus simple: le taxi d’un chauffeur qu’il voyait tous les soirs rentrer du travail et se garer à quelques maisons de la sienne, le seul chauffeur de taxi du bourg, un homme d’une cinquantaine d’années à la vie paisible, seulement troublée de temps à autre par une course plus longue qu’il lui fallait faire jusqu’à la gare de Villingen ou d’Ulm, ce qui le faisait rentrer à vingt heures au lieu de dix-huit, le reste du temps habitué aux trajets touristiques de Constance à Meersburg, de Meersburg à la petite île de Reichenau, du parc aquatique de Wasserburg à la promenade sur la rive de Langenargen. »

« Je me suis demandé ce qui expliquait que je sois du côté de M. Ce qui pouvait bien faire que depuis le début je me sente son complice. Je me suis vu dans ma solitude nouvelle, face au vertige de n’avoir plus personne à qui m’adosser, attiré par cet esseulé majuscule, ce délaissé qui avait connu l’abandon le vrai. Je me suis demandé quelle vérité j’espérais qu’il me dise. J’ai songé à mon métier d’écrire. J’ai pensé que comme M. je faisais partie des êtres qui avaient un problème avec le monde, n’arrivaient pas à s’en contenter tel quel, devaient pour se le rendre habitable le triturer, le rêver autre. J’ai pensé que j’étais le frère de M. dans l’ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l’ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux. »

«La douceur de leurs peaux. L’humidité de leurs sexes. L’énergie de leurs muscles. le plein de toute cette vie qui bat dans leurs veines et irrigue si fort leurs corps, exulte, ne demandait que ça depuis des mois, exulter.»

« quelque chose comme un ordre supérieur aux allures de glacis, chape de silence devenue invisible à force d’habitude, […], parée de souci du prochain : si je ne t’ai rien dit c’était pour ton bien».

« J’ai continué plein nord et peu à peu j’ai senti que je basculais dans un autre monde. Celui des sapins, des épicéas, des forêts gorgées d’eau. Pays reculé dans les contreforts des montagnes, loin des mers. Pays auquel le brouillard allait bien. Où tout était fixe. Où les lacs et les hauts arbres reposaient immobiles dans leur écrin de vallées, et c’étaient les brumes qui tantôt les prenaient tantôt se retiraient d’eux, comme fluait et refluait la mémoire. Pays des fantômes, des souvenirs, des secrets.»

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